René Baumer

L’époque Vaudaise

1940-1944

 

En 1940, date de sa démobilisation, René Baumer va habiter, chez ses parents, dans une maison appartenant à son beau-frère, Raoul Contamin, au 87 rue de la République à Vaulx-en-Velin.

            C’est un homme déjà mûr - il a 34 ans - qui arrive dans ce village. Ancien graveur-lithographe, il a abandonné (on ne sait trop pourquoi) son métier au profit d’un poste de surveillant des Beaux-Arts. Il en démissionna, au bout de quelques années, pour  suivre des cours de dessins et de peinture. Il est facile de supposer que l’influence du milieu révéla ou réveilla sa vocation artistique. On retrouve donc René Baumer à Strasbourg, inscrit, dès 1938, aux cours du soir à l’Ecole Municipale des Arts Décoratifs; cours qu’il compléta, en 1939, à l’Académie Julian à Paris où il se lia d’amitié avec son professeur, le peintre Yves Brayer.

            C’est donc à Vaulx-en-Velin qu’il veut entamer une double carrière de peintre et de sculpteur.

            La campagne Vaudaise n’est pas une découverte pour René, qui n’a certes pas oublié les quatre années passées, durant la première guerre mondiale, à Soutron, petit hameau ardéchois ou il vécut, dès ses dix ans, avec son frère aîné et sa sœur, une vie insouciante sous l’ombre protectrice de sa grand-mère maternelle. A diverses reprises de sa vie, il évoqua ses années heureuses.

 

Dès son installation, il s’intéresse au paysage. Bien vite, il adapte l’exercice de son art à un processus immuable. En plein air, il élabore une gouache, laquelle sera suivie parfois, d’une esquisse. De retour à son atelier improvisé dans la maison familiale, il réalise la peinture définitive. Ses toiles représentent, principalement, des vues panoramiques dont il exclu toute scène anecdotique. Mais les motifs concrets ne sont rien sans les dépôts de la peinture à l’huile qui changent complètement la surface de la toile.
 

Avec pour seul horizon montagneux la silhouette de Fourvière, il tente d’interpréter les variations lumineuses du temps et des saisons sur l’immense plaine entourant le village. Il peint ainsi des paysages d’après-midi, privilégiant les ciels couverts. La lumière, ainsi atténuée, impose à ses toiles la solidité des bâtisses; les imprégnant d’une atmosphère toute terrienne.


De l’ensemble des 16 peintures parvenues jusqu’à nous (beaucoup ont disparues) un œil averti remarquera que 6 paysages, datés de 1942, semblent peints dans un esprit post-impressionniste inhabituel aux autres peintures. Ces six œuvres sont le fruit de ce que l’on appelle « un remord d’artiste ». René Baumer avait l’habitude de retoucher ses toiles anciennes, ce qu’il fit pour celles-ci dans les années soixante dix, en laissant subsister la date de 1942.
 

 

Si le village de Vaulx-en-Velin est, pour le peintre de l’imaginaire qu’il deviendra plus tard, un prétexte à l’apprentissage du métier, il est aussi un sujet d’introspection. En excluant tout particularisme, ses toiles représentent un village banal au point de s’interroger sur le véritable sujet peint, qui pourrait être une recomposition n’excluant pas les souvenirs de son enfance ardéchoise. L’absence humaine de ses paysages est peut-être liée, aussi, à sa double activité  artistique qui transforme le peintre en sculpteur. Cette dichotomie est significative de sa personnalité puisque lorsqu’il abandonna très vite la sculpture, c’est vers l’écriture qu’il se tourna comme s’il ressentait le besoin de prolonger sa création artistique par un autre moyen d’expression.

            Entre 1940 et 1944, c’est la sculpture ou plutôt le modelage en terre cuite, qui complète son œuvre.

 Depuis la Grèce antique, la sculpture figurative a exalté le corps humain en cherchant à donner à la matière inerte une impression de mouvements. L’histoire de l’Art est peuplée d’athlètes, de danseurs ou de « nus », symbolisant souvent une idée. Le sculpteur Maillol, qui influença René à ses débuts, a symbolisé « La Méditerranée » en sculptant un nu féminin allongé. Plus que la peinture, le modelage de terre cuite permet au sculpteur d’avoir l’impression de donner la vie à l’informe.

         
 

Si René Baumer reconnaît dans son journal intime qu’il tint à son retour de déportation, dès 1946, « que la sculpture reste son art de prédilection », c’est parce qu’il ressent la nécessité de mesurer sa force d’homme avec la matière. C’est par elle que vont naître des personnages dont il côtoie les modèles ou qui lui sont culturellement familiers. Boxeurs, catcheurs, « Vénus » sont autant de personnages qu’il fréquente, danseurs, cariatides, barbares, sont des « standards » dirait-on aujourd’hui, des thèmes de la sculpture mondiale.

 

 

 

Il exerça, tout d’abord, sa vision de sculpteur en s’inspirant de son quotidien de sportif. Depuis sa jeunesse, la fréquentation des tapis de la ligue lyonnaise de lutte et du Best Sport Club des Terreaux lui a appris « une clé à la tête, particulièrement imparable qui laissait pantois ses adversaires… ». C’est, du moins, ce qu’il écrivit dans une note autobiographique retrouvée dans ses papiers. Or, ce qui intéresse René, sculpteur, ce n’est pas tant les combats que l’Etre boxeur ou catcheur. Ses têtes de boxeurs, défigurés par les coups révèlent la violence des matchs  précédents alors qu’ils attendent, dans l’angoisse, la sonnerie qui déclenchera les mouvements de cette masse.

         
  Dans ces mêmes années, il réservera à la toile le soin de représenter l’affrontement de ses athlètes. En témoigne le « Combat de boxe » daté de 1942 ou les nombreux dessins et gouaches illustrant son roman « Heurs et malheurs de Duddley King, boxeur ».
         

            « La femme et le nu » est l’éternelle dualité de l’expression artistique que tout créateur a décliné à l’infini selon sa propre sensibilité. Pour René Baumer, leurs formes plantureuses aux hanches et aux seins féconds portent, en elles, les germes puissants de la terre dont elles sont issues en s’épanouissant dans un espace floral luxuriant. Plus Athéna qu’Aphrodite, ces Venus-mère protectrices ne sont-elles pas la réminiscence de la grand-mère évoquée où de la mère aimée ? Pour autant, elles sont avant tout volumes. En disposant, côte à côte, des pigments terreux circulaires qui accrochent la lumière, il parvient à alléger l’impression de pesanteur des formes. Cette technique rappelle celles des impressionnistes avec leur succession de touches de pinceaux.
 

S’il ne faillit pas à la tradition en créant des « Danseuses » ou des « Cariatides », on peut s’interroger sur la signification de son « Barbare ». Cette petite sculpture d’un cavalier au mouvement étonnant donne une impression de force conquérante qui accentue l’interrogation. Germanophile convaincu, René avait, avant guerre, illustré la légende des Nibelungen et fait de nombreuses gouaches du héros mythologique germain : Siegfried. Malgré toute son admiration pour la culture allemande, les temps d’oppression de l’époque n’ont-ils pas détourné l’objectif de la sculpture ? Le « Barbare » n’est-il pas une réplique imagée de Siegfried, d’un Goth où, plutôt, d’un de ces barbares occupant qui se rencontrait à l’époque.
 


 

            Cet exemple démontre combien les allégories sculptées de René Baumer peuplaient ses paysages introspectifs. Si l’emploie des deux moyens d’expression, peinture et sculpture, n’autorisaient pas une quelconque complémentarité dans un espace réaliste, il est certain que dans l’espace mental de l’artiste, ils se complétaient parfaitement, au point de former, tels quels, l’univers d’un créateur.

 

L’époque Vaudaise allait s’achever une fin d’après-midi d’Avril 1944 lorsque la Gestapo arrêta René Baumer et son père à leur domicile. S’en suivi pour eux, l’internement à Montluc et l’expérience concentrationnaire qui aboutit à Bergen-Belsen. A son retour de déportation, il revint quelques fois à Vaulx-en-Velin, mais plus jamais on ne le vit peindre un seul paysages des environs, ni sculpter. L’expérience Vaudaise était achevée.

            Il est mort en 1982 et est enterré dans le vieux cimetière du village où reposent ses parents, morts en déportation.

 

       

    

 
         
 

 

    Daniel Contamin